Press

reperage: Magic Circus, Nieto et Salier en DVD

2008-02-28

reperage: Magic Circus, Nieto et Salier en DVD

La luxueuse édition (Digipack + livret 52 pages) des premières œuvres de deux créateurs audio-visuels de l’écurie Autour de Minuit productions est l’occasion d’examiner les notes dissonantes que la reproduction numérique est venue ajouter à la cacophonie du Septième Art. Édouard Salier, Nieto : deux autoportraits de l’esthétique des années post-contemporaines.

Longtemps – vingt ans – l’édition vidéographique a pu passer pour un para-sitage mafieux, un braconnage, une contrebande du Septième Art. C’étaitl’âge classique de la VHS enchâssée dans son boîtier plastique d’une légèreté désastreuse et du Laserdisc aux dimensions vinyliques : tube cathodique, prise Péritel et écrans bombés, chroniques de “K7” et jaquettes éditées en supplément par les hebdomadaires TV. La nostalgie de cette enfance de l’art n’est pas étrangère à l’esthétique déployée par les coffrets de Luis Nieto et Édouard Salier qui partagent (des causes semblables produisant des effets équivalents) avec Michel Gondry (cf. l’édition DVD Director Label) les mêmes pistes rétrospectives et les mêmes trajectoires introspectives. Ces objets évoquent les compilations personnalisées (du genre cassettes audio décorées à la main, VHS customisées) qui fleurissaient à la fin du siècle dernier.

Le carnaval des animaux

Parodie, autodérision : le carnaval de Salier et la ménagerie de Nieto renvoient aux miroirs (déformants) de l’autoportrait chinois. Portrait logo pour Mr. Salier, biopic reconstituée pour le docteur “Moreau” Nieto : les deux plasticiens s’inventent un double vidéo. Double direct (faire du faux avec le vrai) chez Nieto ; double fantasmé (refaire le vrai avec du faux) chez Salier. Deux exercices symétriques qui produisent dialectiquement une belle esquisse de l’air du temps des années 2000. Télé réalité contre mondes virtuels, caméras de surveillance contre images d’archives, deux esthétiques générationnelles distinctes repèrent déjà les codes audiovisuels à venir. S’emparant du format DVD (intro, menus, sous-menus, bonus et bonus cachés) avec la ferme intention de se l’approprier, les deux vidéastes-performeurs transcodent leurs œuvres initiales en un tout cohérent. Revanche du papier sur l’écran ? À l’heure où la supercherie numérique commence à être révélée en ce qui concerne l’archivage, deux artistes, également baroques, composent leurs tombeaux. On savait bien que le cinéma avait à voir avec l’art de l’embaumement. Mais on ignorait jusque-là le paradoxe absolu du second siècle de l’histoire du cinéma : il tire désormais sa force de sa fragilisation. L’œuvre d’art, à l’époque de sa reproduction numérique devient en somme – violement compressée, mais partout accessible – un reflet trouble sur la toile virtuelle ou bien, image nette sur l’écran réel, un objet de collection. Renversement total de la cinéphilie : acquérir aujourd’hui les œuvres de Nieto ou de Salier en DVD, n’est plus un pis-aller par rapport à un idéal cinématographique. C’est – par rapport à la pratique dominante du visionnage audiovisuel solitaire via Internet – la possibilité, en bon collectionneur, d’ouvrir à d’autres le privilège de l’exhibition et les joies de la fétichisation.

Thomas Schmitt